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"13 Mai 72": Place sacrée.

« 13 Mai 1972 », sous l’égide d’un dictateur : la Place sacrée se transforme en haut-lieu mortuaire !

Le 13 mai 1972 est une date indélébile dans les mémoires collectives malagasy, la preuve en est, 40 ans plus tard, les Malagasy réactivent ce souvenir passé, en le commémorant par un geste symbolique : le porté de gerbes de fleurs sous forme d’une couronne florale et de quelques tiges de fleurs blanches. La cérémonie s’effectue sous l’œil des caméras télévisés et de quelques appareils photographiques de journalistes dépêchés pour ne rien manquer à l’évènement. Certes, de nos jours, le Kianjan’ny 13Mai (Place du 13Mai) est enseveli sous un bassin d’eau, mais il est aussi bien gardé par les grilles vertes du nouvel hôtel de ville d’Antananarivo. L’accès proprement dit est donc impossible car cette image d’embrigadement marque de manière évidente les mentalités actuelles des tenants du pouvoir et de leur déni d’identité collective. Certaines critiques acerbes ont toujours pointé du doigt, le fait que les Merina sont d’« infâmes » instigateurs des violences lors des 13 mai passés, sources des crises populaires dans la capitale et dans toute l’île, précipitateurs d’un nouveau régime politique et biens d’autres, le fait est qu’aujourd’hui encore, nous pouvons voir, dans les rues de la ville, le vrai visage de ces citadins, unis dans une même cause, unis pour effectuer un devoir de mémoire et lutter contre l’oubli et ses complices.

Génocide parmi tant d’autres, le « Mai 72 » à Madagasikara était une lutte pour la restitution de l’indépendance d’un pays tout entier et la réitération de la proclamation de la Libération d’un peuple tenu en esclavage, moral et physique, depuis 1895. Réplique du génocide de 1947 et des conséquences viscérales des remous de 1958, l’Histoire ne fait que réactiver les rancœurs du Passé, pour les graver dans les mémoires individuelles et collectives du peuple. L’hôtel de ville brûlé reste un symbole inoubliable, fort en émotions, et un rappel constant des vicissitudes de l’hégémonie de la Reny malala (Mère chérie) sur les Malagasy. La purification par le feu est un moyen courant dans diverses civilisations et croyances populaires, puisqu’il s’agit de rendre pur un lieu maudit, un lieu malsain, un endroit où le diable règne. Sa reconstruction, identique à quelques détails près, n’est pas en lui-même un péché, une offense ou un sacrilège, peu importe le choix du mot pour qualifier cette état de faits, le plus important pour le peuple, c’est le respect.

L’identité de ce haut-lieu historico-mémoriel n’est plus à débattre, le « 13Mai », lieu mythique et sacré est au peuple, ce que le sang est au corps ou l’âme à l’esprit. Terre bénie inséparable du corps populaire, de leur vie au quotidien, de leurs identités, quelques soient leurs origines ethniques, elle instaure le respect de l’Autre comme « autre moi-même » dont la vie est aussi chère que sa propre vie, quand le sang est le même dans chaque veine. Le « 13Mai » tantôt convoitée par les politiques, tantôt reléguée au second plan, tantôt investie pour de justes causes, tantôt ornée pour recevoir des âmes en liesse, convoque à elle seule, les consciences populaires, les moments forts de ralliements et invite le visiteur « néophyte » de toutes sacralités, à découvrir l’image ancestrale et concrète du Fihavanana malagasy. Le 13 mai 1972 à Antananarivo tient toute sa place dans l’Histoire du peuple, dans celles des luttes populaires et estudiantines, dans les mémoires individuelles et collectives, en rappel aux crimes contre l’Humanité (rafles, exactions, tortures, emprisonnements abusifs de jeunes enfants et d’étudiants, meurtres de sang-froid des grévistes au « 13Mai », etc.) et aux crimes de guerres (Administration coloniale sous couvert d’un semblant de 1ère République). D’ailleurs, la 1ère République n’a de République que son nom, car elle n’a pas permis la Libération d’un peuple pacifique tenu sous le joug de ses assaillants, mais bien le contraire, en facilitant l’imprégnation des méthodes discriminatoires et avilissantes, par un changement de terme : Colonisation=Indépendance. La conscience collective bernée par cette illusion accepte son sort et néglige les méfaits de ces acceptions précipitées. La « République » donne une image de renouveau, un peu comme l’est actuellement l’hôtel de ville reconstruit. Ce 13 mai 2012 traduit l’inertie des tenants du pouvoir dans une amnésie constante et systématique de ce devoir de mémoire impératif dans la vie quotidienne malagasy. L’oubli fortement imprégné de pratiques politisées, transporte les individus qui le pratiquent, dans une spirale vertigineuse composée de négationnisme identitaire chronique favorisé par une prégnante falsification de l’Histoire, où chaque histoire a son lot d’injustices, de médisances et de cadavres. Ainsi, le peuple du « 13Mai » ou « 13Maïstes » interpelle par leur présence sur la Place du 13Mai et fait trembler les « murs de Jéricho », aujourd’hui remplacé par un grillage. Cette matérialité affichée démontre le degré d’inquiétude des dirigeants de l’île et alimente les débats dans les consciences collectives des Malagasy.

La commémoration du « Mai 72 » est devenue un bel exemple de la Résistance d’un peuple pacifique, uni face aux méfaits de l’oubli, aux disgrâces de la mémoire et aux floutages historiques intempestifs, qui ont ravagé les modes de transmission intergénérationnelle de la vérité du déroulement de ces évènements dramatiques. L’emplacement choisi par les « marcheurs » pour déposer la couronne commémorative, nous donne l’idée de l’identité du lieu consacré : la cérémonie du souvenir ressemble trait pour trait à une Toussaint bien organisée. D’une Place de la Liberté ou Place du 13Mai, ce lieu symbolique transforme les survivants du massacre du « 13Mai » en de parfaits « Livres ouverts », orientés vers un avenir meilleurs. Ces mémoires vivantes sont des traces mémorielles du Passé, des clés décodeuses des leçons du Passé et sources d’encouragements populaires, de reconnaissances de l’existence de la dette de sang versé en ce lieu de mémoire. La tradition orale, grande survivante de l’Histoire et des nouvelles technologies, traverse majestueusement le cours du temps. Gardienne des Secrets des Andriana, des lois du Fady, de l’origine de la race malagasy et de la civilisation-mère des pratiques identitaires de l’île, la Mémoire nous renvoie constater les faits et les gestes, sur une terre sacrée « 13Mai », désormais connue et reconnue de tout passant. Les Ray-amandreny (Ancêtres vivants, parents, etc.) en sont son outil de prédilection, puisque la parole dite est ramenée dans le temps présent, pour y être entendue et dévoilée aux enfants, à la manière de récits de vie, d’expériences inédites, de descriptifs émotionnels touchant de près le vécu d’un individu ou d’un groupe d’individus, en guise de Fampitandremana (consignes), de Fampiheritreretana (conseils) et/ou de Fampianarana  (enseignements) des jeunes générations, souvent peu intéressés par leur propre Histoire. Ainsi, rappeler l’Histoire n’est pas ressasser le Passé mais prévenir des dangers qui peuvent noircir l’avenir.

Cependant, au-delà de ces morbidités historicomémorielles, le « 13Mai » est un puissant guerrier de l’ombre, qui travaille notre conscience individuelle et réunit chaque « être » dans une communion fraternelle, dans la remémoration de cette tragédie nationale inoubliable des Malagasy. Pour preuve, la date du 13 mai 1972 provoque des élans patriotiques mémoriels tels des publications spéciales en provenance directe de la Revue de l’Océan Indien (ROI), comprenant une édition de 68 pages à 15.000 Ar l’exemplaire, motivée par un devoir de mémoire « pour remémorer cet évènement marquant de l’histoire de Madagascar » ; des programmations télévisuelles mettant en scène des personnages-clés du « Mai72 » face à un acteur typique de 2009 ; ou encore d’insuffler l’idée d’une possible commémoration commune au sein même de divers groupements d’intellectuels (historiens, écrivains, journalistes, professeurs, etc.) comme celui du CJD. Le « 13Mai » garde tout son mystère en forçant la mémoire collective des survivants de ce génocide à organiser des conférences, des débats et une exposition à l’hôtel de ville d’Antananarivo. Cette exhibition des faits historiques dans un lieu politisé et officiellement anti-13Mai, nous montre que le « 13Mai » permet aussi au peuple de faire une « trêve », de trouver un temps-mort durant les luttes et crises populaires. Sauvegarder cette mémoire vive du « 13Mai » c’est pouvoir enfin accéder à un moment de pure liberté de l’âme et ouvrir les portes de la Paix, sans passer par une mort de quelques manières qu’elle se présente dans la vie. Ainsi, le « 13Mai » trouve toute sa place dans la Mémoire et l’Histoire de Madagasikara, au même titre que les dates à retenir et à transmettre comme patrimoine historique et capital culturel à part entière, jouant un  rôle primordiale dans les comportements des Malagasy, face à leur Histoire ainsi que leur avenir proche et lointain.

13.05.2012 

Shatia ANDRIAMANAMPISOA

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